Méconnu,
incompris, diabolisé, le vodou représente une religion à part entière dont les
racines se situent au Dahomey, aujourd’hui le Bénin. C’est aussi une science
occulte, souvent associée aux pratiques sataniques qu’il combat.
En Fon, la langue parlée au sud du Bénin, le terme
vodou (orthographe en référence à ses origines africaines) signifie « l’âme qui
s’est écartée ». David Coffi Aza, prêtre de Fa (un art divinatoire) que nous
avons interviewé, explique que le culte vodou est reliée au royaume du Dahomey dont
le premier culte demeure la célébration de l’âme des défunts. Loin d’une simple religion, cette croyance,
soucieuse du bien-être des humains et respectueuse de l’environnement, englobe
toute une façon de vivre.
Appelé « science occulte »
par David Coffi Aza, le vodou se caractérise par quatre piliers fondamentaux de
la nature : la terre, l’air, l’eau et le feu.
La déesse Terre (Sakpata)
est la divinité à laquelle à recours le prêtre vodou pour ses pouvoirs guérisseurs.
L’air symbolise le serpent (Dan), divinité de la richesse. Quant à l’eau, elle
abrite la sirène (Mami Wata), aussi bien protectrice, nourricière que
dangereuse. Ses adeptes, généralement des femmes, sont les plus belles, bien
soignées, toujours parfumées et vêtues en blanc. Enfin, dans la religion, le feu incarne la
foudre (Hêviosso) qui foudroie les malfaiteurs. Ses fidèles portent une hache à
double lame.
De passage en Haïti, sa Majesté Daagbo Hounon
Houna II, chef suprême du Vodou et roi de Ouidah, ville historique située
à 42 kilomètres de Cotonou, capitale
économique du Bénin, décline le vodou sous deux aspects : le culturel et le
sacré. L’association des prêtres vodou (vodounon en Fon), sur le territoire du
Bénin, élit en son sein un responsable qui devient chef suprême du vodou. Le
prêtre, lui-même adepte initié à un degré avancé dans la spiritualité, devient
garant de la tradition vodou au Bénin. On devient également prêtre ou prêtresse
vodou de par son père ou sa mère. « Un parent initié choisit alors l’un de ses
enfants à qui il transmet l’ensemble des secrets et savoirs naturels par
rapport à une divinité », affirme David Coffi Aza.
Bon nombre de Béninois pratiquent la religion
vodou, qui cohabite en harmonie avec les religions importées comme le
christianisme et l’islamisme.
Du
culturel au sacré
Plusieurs adeptes du culte vodou à Grand Popo
pour célébrer la fête du vodou au Bénin le 10 janvier. Photo: Étienne Nangbo, Labelphoto |
Selon un rapport d’Enquête Démographique et de Santé et à
Indicateurs Multiples du Bénin (EDS-MICS-IV) 2011-2012 de l’Institut National de la
Statistique et de l'Analyse Économique (INSAE) Bénin, 22% de la population pratique
le vodou. « Au Dahomey, le vodou avait une place capitale », souligne Ganiou
Soglo, ancien ministre de la Culture du Bénin. Pour lui, le vodou représente
une identité culturelle remarquable dans le quotidien des Béninois. Des temples vodou, lieux d’adoration, sont
présents un peu partout. Un chrétien ou un musulman peut de l’église ou de la mosquée
s’y rendre à une fin quelconque.
Du nord au sud du Bénin, on remarque des
symboles, des cérémonies, des objets, des rites et des gestes ancrés dans les
habitudes béninoises. Pour accueillir, par exemple, un nouveau-né dans une
famille, à la sortie de l’hôpital, avant de franchir le seuil de la maison, on
arrose la devanture du portail avec de l’eau en signe de bienvenue et de paix.
Également, lorsqu’une femme tombe enceinte, sa belle-famille consulte l’oracle
du Fa. Le but : parer à tous dangers présents ou futurs pouvant entraver
la bonne évolution de la grossesse. Selon Macaire Sêhomi, un profane béninois
du vodou, « cette pratique est de plus en plus délaissée par la nouvelle
génération ».
David Coffi Aza affirme que le vodou s’exprime à travers les arts
plastiques, l’art culinaire, l’art vestimentaire, la chorégraphie ainsi que la
littérature. Le Vê, un mélange de farine de maïs et d’huile rouge, de même que
le Abobo, du haricot rouge mélangé à de l’huile rouge, demeurent des mets
prisés pour nourrir les esprits pendant les cérémonies au couvent. Un initié
vodou ou un habitué peut aisément connaître la divinité d’attache ainsi que le
rang, dans la hiérarchie vodou, d’un adepte, et cela, à partir de la quantité, de
la couleur et de la taille de ses parures en perles. Les adeptes exécutent un
rythme particulier et des pas de danse bien précis, lors des cérémonies, selon
chaque divinité. Dah Agbalenon, prêtre vodou béninois, affirme que le vodou «
regorge de lois divines qui permettent à la prière des croyants d’atteindre
plus rapidement Dieu ».
Religion endogène du Bénin, le
vodou s’associe au mal, selon les experts, par l’Occident. « Le colonisateur,
pour piller l’or et les diamants des peuples africains, utilise la Bible pour
les détacher de leur croyance », rappelle Ganiou Soglo, ancien ministre de la
culture du Bénin, qui fait référence au discours de Léopold II, Roi des Belges,
en 1883. « Vous
devez les détacher et les faire mépriser tout ce qui leur procurerait le
courage de nous affronter ». Léopold II fait allusion principalement aux
divinités qu’il appelle « fétiches de guerre ».
Yves Kpêdé Apollinaire,
artiste plasticien à Abomey dans le sud du Bénin, se demande « si celui qui
reconnaît l’existence d’un être suprême est dans une démarche maléfique ». Questionnement
qui pousse à apprendre sur le sacré de la croyance vodou.
Le sacré est strictement
réservé à l’initié qui devient disciple d’une divinité dont il demeure sous
l’emprise pendant le temps de la formation. Pour Adjignon
Gladys Débora Hounkpè, docteur en science de l’éducation à la faculté de psychologie
et des sciences de l’éducation, à l’Université de Liège, l’initiation dure sept
ans au couvent, lieu d’habitation des futurs adeptes où le maître est un prêtre
vodou. En y entrant, les adeptes sont supposés ne rien savoir de la vie en
société, encore moins du rapport à entretenir avec la nature. « Ils regardent, écoutent et imitent »,
ajoute-t-elle. Il s’agit d’un processus de transmission de coutumes et de
traditions, des façons collectives d’agir et de penser. L’admission au couvent
est très sélective, car elle s’effectue par l’appel du vodou à travers une
maladie qui frappe le futur adepte. Selon Marc Augé, anthropologue cité par Gladys Hounkpè : « C’est après la
consultation de l’oracle (Fa) que le devin (bokonon), donne l’origine de la
maladie. Ce dernier oriente alors le patient vers le couvent où il y a son
vodou électeur. De plus, certaines personnes y viennent poussées par une force
indicible ». Autrement dit, la personne choisie par une divinité va s’offrir d’elle-même
à cette divinité pour entrer au couvent. À sa sortie, l’adepte est rebaptisé
selon sa fonction spirituelle et sa divinité d’attache. Alice à la naissance
devient, par exemple, Houènoussi après son initiation.
Les
méandres du vodou
Dans le vodou, « rien ne se faisait sans le Fa » explique
Ganiou Soglo. Pour donner une orientation à ses prières et ses sacrifices,
l’adepte vodou consulte en premier lieu le
Fa. Cette divination repose
sur les principes immuables de la nature selon les quatre points cardinaux :
l’Est (Gbê-Médji), l’Ouest (Yeku-Médji), le Sud (Woli-Médji), le Nord
(Di-Médji). Ces points se multiplient pour donner 16 signes mère de l’art
oratoire.
Le vodou reconnaît l’existence d’un être suprême « Dieu » nommé Mawu. Il revêt un attribut tridimensionnel décliné comme suit : « Sègbo Lissa », la mère de toutes les divinités; « Mi Anan », l’énergie de fécondité; et enfin « Lègba », l’énergie virile généreuse et puissante. Les aînés pensent que cette triade concourt à la création du microcosme et du macrocosme. « Depuis les années 1950, avec l’évolution et les recherches, l’Église catholique à travers le conseil du Vatican 2 affirme que dans la tradition vodou, il y a des valeurs universelles », mentionne le prêtre catholique apostolique romain, l’abbé Justin Bocovo.
Le sacrifice dans la religion vodou
Le sacrifice du mouton et de
la poule est très répandu dans le vodou et mal interprété des profanes. Sur le
sujet, Gémima Dadié, d’origine ivoirienne, déconseille la pratique du vodou.
Pour elle, « tout repose sur la magie ». Ce qui n’est pas d’avis de Macaire
Sèhomi, un profane béninois pour qui le vodou demeure « une religion endogène
qui a ses bienfaits ».
Chaque divinité représente
un réceptacle ayant besoin d’une énergie vitale pour agir selon la prière des
adeptes. Cette énergie, affirme David Coffi Aza, « se trouve en abondance dans
le sang et également dans l’huile rouge, l’huile d’arachide et l’huile d’amande
douce ». Cependant, le prêtre vodou ne peut sacrifier un animal « sans la
nécessité absolue de sauver et sauvegarder une vie supérieure, celle d’un homme
», poursuit-il. Le sacrifice s’impose pour désenvoûter un individu et le sauver
d’un mal qui peut le conduire à la mort. Dans la Bible, le sacrifice existe
également. Pour rappel, Genèse 22, 1-14 : à la place du sacrifice
de son fils unique Isaac pour l’holocauste, Dieu ordonna à Abraham de sacrifier
un mouton. Ce geste mal interprété dans le vodou existe dans le catholicisme.
Dans la pratique de la
science occulte qu’est le vodou, les initiés ont aussi recours à la vertu des
plantes pour guérir les maladies notamment incurables par la médecine
moderne.
La
guérison par les plantes
Ibrahim Kpadonou, réalisateur de cinéma béninois, a été
empoisonné au domicile d’un collègue, à l’occasion d’une réception funéraire.
Il a commencé par sentir des picotements dans le ventre. Essayant d’aller chez
lui, en cours de route, il s’évanouit. « Je me suis retrouvé chez un prêtre
vodou qui m’a fait boire des tisanes », mentionne Ibrahim qui poursuit qu’au
lendemain, le prêtre lui a fait une cérémonie au cimetière pour chasser la mort
qui planait sur lui. « C’est vrai que par les plantes, il a su me sauver,
mais je traîne encore des séquelles, car je suis devenu ulcéreux. J’ai continué
des soins à l’hôpital », confie Ibrahim Kpadonou. L’émotion paraît encore dans
sa voix tremblante qui racontait sa mésaventure.
Quand
le prêtre vodou reçoit un patient atteint d’un mal incurable, la nuit, le
prêtre sort de son corps pour faire voyager son âme vers un lieu où poussent
les plantes. Il les interroge pour reconnaître leurs propriétés et distinguer
celles qui peuvent aider à guérir le malade. Au réveil, le prêtre va chercher
ces plantes. « Nous traitons les plantes telles que vues pendant la
décorporation », confie le Dr Fagla Médégan, directeur de recherche sur les substances
naturelles dans le département de biochimie et de biologie cellulaire de
l’Université d’Abomey Calavi. Son
dernier patient avait le cancer de l’œsophage. Pour la médecine moderne, il n’y
avait plus rien à faire. Même pas une goutte d’eau n’entrait dans sa gorge. Le
Dr Fagla Médégan et son frère,
aussi grand initié, trituraient des plantes, lui en mettaient sous la langue.
Les moelles de ces plantes passaient en sucre lingual dans son corps. Au 19e
jour, il a avalé sa salive et a commencé par boire de l’eau, goutte après
goutte. Ensuite, il réussit à s'alimenter peu à peu pour retrouver ses forces.
Le pouvoir de sortir du
corps dont l’entendement échappe au commun des mortels est la source de
plusieurs polémiques. Les détenteurs de ce pouvoir, qualifiés de sorciers, peuvent
en user pour faire le bien ou le mal.
Aussi appelé « sorcellerie »
Au
regard de son visage au sourire narquois, on pouvait deviner le désenchantement
de Dah Agbalenon. « Ils disent que le vodou est de la sorcellerie parce qu’il
est trop puissant ». Si la sorcellerie est le mot à utiliser, utilisons-le ! S’indigne
le Dr Fagla
Médégan. Pour lui, le vodou donne la
possibilité d’user des propriétés de l'âme pour le bien de l’humanité. Des
années durant, on prépare l’individu pour lui donner le pouvoir de sortir de
son corps.
La
puissance de décorporation permet d’entrer dans le corps de n’importe quelle
espèce, animale ou végétale. En communiant avec l’âme d’une personne, le prêtre
vodou peut pénétrer dans les archives de son passé et projeter son futur pour
le débarrasser de toutes influences négatives ajoute le docteur Fagla Médégan. « Écoutez ! Le vodou n’est que la science,
l’utilisation des vraies propriétés de la matière », poursuit-il.
Dans
les années 1000, les Dogons du Mali par ce savoir ont cartographié le ciel sans
lunettes. En utilisant cette connaissance pour faire du mal, il y a toujours
une cause de légitime défense. Ce sont des bassesses aux bas niveaux de la
connaissance vodou. « Il y a des degrés dans la maîtrise de ce pouvoir de
décorporation. Au niveau supérieur, on n’a
qu’une idée en tête : le bonheur dit-il comprendre.
Dans la tradition vodou, il
y a des savoirs dangereux qu’on transmet aux initiés. Ce sont des connaissances
de destruction qui ne sauraient être assimilées directement au vodou qui en
lui-même ne peut faire ni le bien ni le mal sans une participation effective de
l’homme, clarifie David Aza. « Ces pratiques négatives que l’homme détient
n'ont rien à voir avec le vodou », ajoute-t-il. Le problème ne vient pas de lui,
mais de l’être qui utilise ses connaissances destructrices pour asseoir son
hégémonie. Pour lui, Le seul langage que le monde comprend aujourd’hui, c’est
le rapport de forces. Et de toute évidence, on ne craint pas la bombe atomique,
mais plutôt l’homme qui peut s’en servir pour détruire ses semblables. C’est
ainsi qu’il compare le prêtre vodou qui utilise ses connaissances pour faire
respecter le vodou et l’ordre social.
Aussi complexe
qu’incompris, le vodou demeure la seule religion africaine qui a survécu aux
croyances étrangères. Pour Coffi Aza, le vaudou se distingue de la sorcellerie.
Comme toute religion, il procure bonheur et paix d’esprit à qui l’évoque
positivement dans ses prières.
LE VODOU DANS LE MONDE
Le vodou s’est reconstitué en Amérique, sous diverses
formes et appellations, suite à la déportation des esclaves au XVIe
siècle. « Le mot vodou a alors pris une forme graphique : vaudou, vodou, vodoun,
vôdoun, voodoo, vôdou » Pauline Dimigou étudiante en études théâtrales à
l’université Paul Valéry Montpellier 3, dans son mémoire de fin d’études, Les traces du Vaudou dans le théâtre
contemporain Béninois.
« Candomblé
» au Brésil : A Salvador de Bahia, le vodou connu sous le nom candomblé,
se vit dans les terreiros, lieu de culte vodou. Le Dieu unique est nommé
« Oludumaré ». Il est soutenu par les divinités (Orixas) associées à l’eau,
au feu, et à la terre. Près de trois millions de Brésiliens, toutes classes
sociales confondues pratiquent cette religion.
« Santeria » (culte des saints) à Cuba : Regla de Ochoa, est la
religion des esclaves yorubas venus du Nigeria entre le XVIe et le
XIXe siècle. Elle est née de l’alliance forcée du culte catholique
avec le vodou. Les dieux de la Santeria sont incarnés par des couleurs.
« Obeayisne » en Jamaïque : l’obeah, alors illégale,
le gouvernement jamaïcain a dans un passé récent aboli la sentence de
flagellation et d’emprisonnement des pratiquants. Beaucoup appellent encore à
la dépénalisation totale de l’Obeah qui est déjà pratiqué librement sans
condamnation.
« Shango » culte à la Trinité ou vaudou en Haïti : le culte est présent dans
le quotidien des Haïtiens, il fait référence à un créateur divin, Bondye, qui dirige une armée
d'esprits, les Lwas. Papa Legba, le plus célèbre, permet aux mortels
d'échanger avec les Lwas. 2,1% de la population haïtienne pratique
officiellement le vodou.
Source :
Les Traces du Vaudou dans le théâtre
contemporain béninois, Rapport de mémoire de fin d’études, Pauline
Dimigou, étudiante en théâtre à l’université Paul-Valery Montpellier 3 en France.
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